Et si je vous disais "Gyèt Manman w" ???

 


Midi, la circulation est paralysée dans les rues de Port-au-Prince, deux camions sont tombés en panne. Chaque centimètre gagné est une mini victoire. Les chauffeurs de taxi en motocyclette tentent de se faufiler entre les voitures, chacun se débrouille comme il peut pour échapper à ce blocus infernal. La chaleur étouffante de l’asphalte et le tohubohus des klaxons n’arrangent rien. En s’engouffrant dans une brèche, un motocycliste a failli se faire renverser par une voiture. Après des Gyèt Manman lancés de part et d’autres, chaque protagoniste retourna à ses occupations, comme si de rien n’était. 

Cette situation, quoique surréaliste en apparence, a été vécue par plus d’un, dans des configurations différentes. Si pour beaucoup ces quelques mots proférés à leur encontre témoignent d’un manque de respect, voire de mépris, le contexte est très important afin de mieux comprendre la dynamique enclenchée.  

Lors des manifestations, les milliers de personnes qui gagnent les rues pour dénoncer les abus de corruption, l’impunité, l’insécurité et pour exiger de meilleures conditions de vie l’utilisent comme un hymne à la liberté et au droit de tous de mener une existence décente. Cette expression sert donc à extérioriser toute la frustration contenue, tout le stress emmagasiné à cause de la situation du pays.

Vous avez sûrement déjà entendu quelque part que tout bon haïtien, après avoir lancé une pierre, enclenche automatiquement le mécanisme, comme une seconde nature. Il y en a aussi qui disent que proférée a haute voix pas loin d’une foule, elle peut servir à identifier un compatriote lorsqu’on est à l’étranger. Difficile à croire, mais cette expression peut aussi être une salutation entre amis. Car oui, entre potes, on voit de tout. 

Autre chose important à savoir, la gestuelle qui accompagne le Gyèt Manman et la personne qui l’utilise. Un individu qui le dit de manière virulente ne doit pas être classé au même enseigne que celui qui le dit en souriant. Aussi, celui qui y ajoute un doigt d’honneur ne lui donne pas le même sens qu’une mère qui le dit à son enfant. 

La petite histoire raconte que son origine remonte à la période coloniale. Du français « que le colon guette ta mère », cette phrase traduisait la barbarie des colons à l’égard des noires esclavagisées. Les viols étaient monnaie courante sur les habitations car les ‘maitres’ avaient droit de vie ou de mort sur leur ‘propriétés’. Après la défaite cuisante de l’armée napoléonienne, une jeune nation est née ; aucun peuple ne nait sans langue. Le créole haïtien (qui signifie kreye isit), fruit d’un mélange entre différentes cultures pour faciliter la communication entre esclaves de différentes origines, traduit cette phrase en kolangyèt Manman w. Proférée à l’époque par les haïtiens fraichement libres pour piquer l’orgueil de leurs comparses en insultant directement leurs mamans,  cette phrase est le plus souvent amputée des 5 premières lettres car peu utilisées de nos jours. 

Certains parlent de patrimoine linguistique en raison de la présence permanente de ces mots dans le quotidien des haïtiens et de l’appropriation qui en est faite par toutes les couches de la société. On ne saurait soutenir cette idée car la construction d’un élément culturel en patrimoine est beaucoup plus complexe que cela. Néanmoins, sa transmission est effective ; faite de manière informelle, de bouche à oreille, le Gyèt Manman garde toute sa force. Nul doute qu’il aura la même portée des décennies plus tard. 

Cet héritage culturel qui nous ramène directement aux souffrances et aux traitements inhumains subis par nos ancêtres africains, façonne la mémoire collective. Ces mots alignés dans le bon ordre, jalonnent le quotidien de bon nombre d’haïtiens. Alors, avant d’en venir aux mains quand quelqu’un vous le dira, réfléchissez à deux fois. 




Herbert Nerette, Étudiant finissant en Tourisme et Patrimoine à l’Université d’État d’Haïti (UEH)

E-mail : neretteh@gmail.com

Téléphone : (509) 3815-8685


Commentaires

  1. Monchè sonw tinfraz ki pa mal pou soti nan bouch mw nn,lolll Herbert merci pour ce texte.👌

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